Adamina Shyto fut réveillée par le grésillement d’une voix dans l’interphone. Elle ne discerna pas tout de suite la teneur des propos, alors qu’elle s’asseyait sur le coin de son lit. Après s’être essuyée les yeux, elle tendit l’oreille pour comprendre ce qui se disait. « Commandant Shyto ? ». Elle reconnut la voix du capitaine Varas. « Commandant Shyto ? ».
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Oui, dit-elle d’une voix rauque qu’elle corrigea en toussant.
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Nous arrivons en bordure de Wobass, madame. Soudain, une énergie nouvelle s’empara du commandant, éliminant toute fatigue. Tout en se levant, elle informa le capitaine qu’elle se mettait en route vers le poste de commandement. Elle enfila sa tenue républicaine, faite d’un tissu bleu profond. En enfilant ces bottines noires, elle se surprit à penser qu’elle aurait peut être besoin d’une protection laser. La perspective de se faire tirer dessus était bien réelle et si jamais elle venait à être isolée de ses hommes, elle ne donnerait pas chère de sa peau. Une fois entièrement habillée, elle s’approcha de son bureau pour y prendre sa broche de commandant. 7 anneaux en or, tous reliés par une ligne verticale, faite du même métal. Alors qu’elle l’agrafait au niveau de son coeur, elle entendit quelqu’un frapper à la porte. La voix d’INA, intelligence artificielle du vaisseau, retentit dans la pièce. « Il semble que Jino Davos demande audience, madame ».
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Laisse le entrer, répondit Shyto. La porte s’ouvrit silencieusement et Jino entra. Il semblait préoccupé et cela se lisait sur son visage. Il s’arrêta devant son commandant et le salua d’un signe de tête.
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Eh bien, parle Davos, s’impatienta Shyto.
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Madame… Il semblait hésiter, je crains d’avoir une mauvaise nouvelle.
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Je n’ai pas le temps de jouer aux devinettes. Son regard vira au noir. Parle maintenant ou va t’en. Davos releva la tête et inspira un grand coup.
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Les unités que nous avons demandés pour vous escorter au sol, elles ne sont pas arrivées.
Le commandant soupira, tournant sur lui même, il trouva son pistolaser et sa lanière sur le dossier d’une chaise. Traversant la pièce pour le récupérer elle répondit au soldat. « Quand arriveront elles ? »
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Je crains, madame, de ne pas pouvoir répondre à votre question. Ses mains tremblaient à présent.
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Que veux tu dire par là ?
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Nous avons perdu le contact avec les unités I9 il y’a de ça une heure. A ce moment là, elles se trouvaient au large de Kalist.
Kalist.. Tout en accrochant son arme à sa taille, Shyto analysait la situation. Alors qu’elle s’apprêtait à rencontrer les dirigeants d’un peuple non soumis, voilà que les gardes censés l’escorter disparaissaient subitement sans laisser de trace. Ce n’était pas bon signe, elle le savait pertinemment. Mais la république ne pouvait pas attendre, rebrousser chemin maintenant signifierait la fin de sa carrière militaire et couperait définitivement toute ambition politique. « Trouve Yllario, explique lui la situation. Je veux une explication à mon retour. » Davos la salua et sortit de la pièce précipitamment. Shyto s’assit sur son lit, le cerveau en fusion. « Commandant Shyto ? ». L’interphone braillait à nouveau. Revenant subitement à la réalité, elle se leva et sortit de ses quartiers direction le poste de commandement.
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Capitaine, Shyto salua son second d’un signe discret. Ou en sommes nous ?
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Nous serons bientôt en orbite, commandant. Varas semblait serein, était il au courant de la disparition des troupes ?
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Bien, dans ce cas, vous n’avez pas besoin de moi. Une fois en orbite, restez en vol stationnaire le temps de mon absence. Si jamais vous perdez le contact, lancer la procédure d’alerte B49. Elle s’arrêta et observa son capitaine qui était occupé à trifouiller des boutons sur sa console.
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Bien mon commandant. Je vous ai affréter des troupes supplémentaires au sol, il marqua une pause, hésitant, pour compenser l’absence des I9. Dans un sourire, Shyto admira son capitaine. Il avait le don pour toujours avoir une solution à tous ces problèmes. Mais cette fois ci, il se trompait.
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Laissez donc ces hommes à bord capitaine, je n’en ferais pas usage.
Varas, sur de lui, riposta. « Madame, les procédures de sécurité…
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… sont à suivre en certaines circonstances. Notre mission est pacifique. Amener des gardes en plus éveillerait les soupçons, et je ne veux pas risquer la vie de plus d’hommes au sol. Cela serait pris comme de la peur. Elle fit une pause. La disparition des I9 m’inquiète au plus haut point mais tant que nous n’avons aucune certitude que leur évaporation est liée à notre mission, nous ne ferons rien. Puis elle s’approcha de Varas et mit sa main près de son oreille gauche, alors elle chuchota : « Nous sommes probablement épié de toute part en ces lieux, mieux vaut ne montrer aucun signe d’animosité envers le peuple avec qui nous allons signer un traité de paix ». Varas prit un instant de réflexion puis acquiesça d’un faible hochement de tête avant d’ajouter « Comme bon vous semblera, madame ». Satisfaite, Adamina Shyto tourna les talons et quitta la pièce. En arrivant à la porte de sa navette elle avisa son reflet dans un miroir et somma un des gardes d’aller chercher, en vitesse, sa cape blanche dans ses quartiers. Aussitôt le garde partit, elle franchit le seuil de sa navette et se rendit dans le salon privé. S’asseyant sur un des vastes canapé en cuir noir, elle rajusta sa tunique et ferma les yeux. Quand elle se réveilla, elle trouva sa cape accrochée à un pan du mur. Se levant, elle s’aperçut que la navette s’était détachée de l’astronef et filait maintenant vers Wobass dans un silence déconcertant. Elle vint se poster à la fenêtre et, tout en accrochant sa cape, observa tranquillement la planète Wobass. Principalement désertique, elle brillait telle une étoile, seule dans la galaxie. A cette distance, il était impossible de distinguer un signe de vie. On apercevait seulement quelques montagnes au sud, là où le sable laissait la place à une roche rougeâtre teintée de nuances violettes. En son fort intérieur, Shyto brulait d’impatience de rencontrer le président de la micro-république Wobassienne. Un certain Hamir Torst. L’on disait de lui qu’il était aussi buté que son peuple et que, parler d’autre chose que des ces propres intérêts ne lui plaisait guère. Beaucoup, au sénat, redoutait l’issu de cette entrevue du fait du comportement lunatique du président. Malgré toute la bonne volonté que pouvait avoir Shyto et son immense désir de briller aux yeux du sénat, elle ne pouvait se résoudre à accepter de bon coeur cette mission. Ce n’était ni une politicienne ni une oratrice. Bien qu’elle désire plus que tout intégrer le monde politique, cette première mission diplomatique semblait être le piège parfait. Longtemps elle avait cru que le sénat l’avait mandatée elle, pour qu’elle échoue et ainsi avoir un concurrent politique en moins. Mais au fond, cette vision des choses lui donnait une énergie nouvelle, celle de s’en sortir et de prouver à la république qu’elle pouvait compter sur elle.
A présent, elle entrevoyait le port spatial de Tyrscha, capitale de la planète. On est bien loin de Yalo pensa t’elle. 3-4 vaisseaux occupaient la partie sud du port, quand au reste, les quais demeuraient désespérément vide. Au delà des rampes, seuls quelques bâtiments, pas plus hauts qu’un arbre, bordaient le port et le séparaient de la ville. L’un deux était couronnée d’un dôme de métal ultra réfléchissant, il devait être le bâtiment principal puisqu’à présent, Shyto distinguait une foule agitée devant lui, du côté de la ville. Alors que la navette, toujours en silence, s’approchait lentement d’une des plateformes, le commandant prit une grande inspiration et sortit du salon. Arrivant devant la rampe de sortie, elle fit un signe de tête à chacun de ses hommes. C’était une tradition républicaine que de saluer ses soldats avant une mission. Du moins, lorsque c’était un petit effectif. Marchant le long des hommes, la cape de Shyto ondulait doucement. Arrivée en bout de file, le commandant se retourna et se redressa. Une fierté sans égal parcourait ses yeux et se répercutait sur les hommes d’armes. « Aujourd’hui, nous débarquons en terrain étranger, commença t’elle. Je ne veux ressentir aucune animosité de votre part et, surtout, je ne veux qu’ils ressentent aucune animosité. Une fois dehors, votre présence doit se faire la plus discrète possible. » Elle marqua une nouvelle pause et, regardant chacun de ses hommes, s’assura qu’ils écoutaient tous. Satisfait, elle repris. « Vous êtes des soldats de la république, portez votre écusson avec fierté, mais ne dénigrez pas ceux qui ne le portent pas. Ceux qui ne suivront pas ces règles à la lettre se verront remettre un châtiment à la hauteur des conséquences de leur acte. » Alors qu’elle se retournait, elle s’arrêta et s’adressa aux soldats une dernière fois. « Et quoiqu’il se passe dehors, vous suivez mes ordres ». La sévérité de sa voix fit frémir plusieurs des gardes. Un lourd silence s’abattit sur la troupe. Puis soudain, les lumières s’éteignirent et la rampe arrière de la navette s’ouvrit. La fente lumineuse illumina l’intérieur obligeant les premières rangées à se couvrir les yeux. La chaleur de Wobass s’engouffra de plein fouet dans le vaisseau accompagnée de quelques grains de sables. Je n’aurai pas du autant me couvrir, pensa le commandant. Mais il était trop tard pour revoir sa garde robe, d’un pas décidé et puissant, elle descendit du vaisseau, suivi de ses hommes.
Au sol, une diligence d’une vingtaine d’hommes attendait patiemment au bout du quai. La plupart étaient des soldats, habillés partiellement d’une tunique verte pâle repliée autour de la taille. Adamina n’arrivait pas à discerner quel type d’armes ils portaient mais elle n’avait pas envie de les voir pointer sur elle. Alors qu’elle avançait en direction de l’attroupement, une voix grésilla dans son oreille. « Système de reconnaissance en place, sécurité maximale ». Shyto reconnut instantanément, malgré le sytème, la voix de Varas, qui lui redonna confiance. Alors elle se redressa brusquement et vint se planter devant les étrangers. Ses gardes se postèrent autour d’elle, armes baissés. Elle se félicita intérieurement de l’application de ses troupes à ne laisser transparaitre aucune intention hostile. Après un court instant d’observation, un homme avance vers eux, lentement. Il était petit et rond. A tel point que son châle verdâtre semblait contenir tant bien que mal tout le poids qu’il portait. D’une voix aiguë, il héla le commandant dans une langue inconnue. Un court instant, Adamina fut prise au dépourvu et, instinctivement, elle effectua un pas en arrière. Mais encore une fois, son ange gardien était là pour l’aider. La voix de Varas retentit dans son oreillette. « Bienvenue sur Wobass, républicains. Si vous daignez me suivre, je me ferai une joie de vous faire visiter notre belle cité ». En son fort intérieur, elle bénit de tout les noms son capitaine et acquiesça d’un hochement de tête appuyé. Alors qu’elle avançait vers l’homme, celui ci leva le bras et tout ses hommes levèrent leurs armes, les pointant vers les soldats de Shyto. L’homme parla à nouveau et Adamina du attendre quelques secondes avant d’en obtenir la traduction. « Aucune arme étrangère n’est autorisée à l’intérieur du mur d’enceinte. Veuillez les laissez où vous vous trouvez ». Presque instantanément, le commandant sortit son pistolaser à induction et alla le donner à un de ses soldats. En passant, elle lui glissa deux mots, celui, malgré son regard plein d’inquiétude, hocha la tête et se replaça. Alors Adamina se retourna et avança vers l’étranger.
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Mes hommes sont des soldats, si leur armes ne sont pas acceptés, ils resteront là. A son grand étonnement, l’homme lui répondit dans sa langue.
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Comme vous voudrez. Puis il tourna les talons et se dirigea vers un petit aérospeedeur. Shyto suivit ses pas. Dans son oreillette, Varas criait de rage et ne manquait pas de lui rappeler son comportement irresponsable. En son fort intérieur, Adamina se répétait qu’il fallait prendre des risques pour accomplir de grandes choses. Mais plus le temps passait, plus elle venait à regrettait d’avoir laissé ses hommes.
Une fois à bord du vaisseau, elle put voir sa navette et ses hommes disparaissant au loin. Malgré l’aspect vétuste de l’engin, celui se mouvait assez rapidement obligeant Adamina à se protéger le visage du sable, par moments. Arrivant aux portes du port, elle aperçut la foule qu’elle avait déjà remarqué depuis la navette.
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Je vous prie de ne pas tenir compte de leur réaction, dit l’homme. Ce ne sont que des imbéciles ignorants et ingrats.
La tranquillité avec laquelle il parlait de son peuple en ces termes choqua le commandant, qui remercia tout les dieux d’être né sur Yalo 2. Elle tenta de garder un air sérieux mais amicale, avant d’entamer la conversation. Son père lui fait toujours répété, deviens l’ami de tes ennemis et tu n’auras que des amis. « Vous ne m’avez pas donné votre nom, je crois, messer ».
Sans même la regarder, il lui donna son identité.
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Gyg, maître des maisons et gardien des esclaves.
Voilà donc la source de son incommodité. L’esclavage était formellement interdit au sein de la république et les derniers cas, rares, étaient traités en exemple. Ce dénommé Gyg devait donc voir d’un mauvais oeil un possible traité entre Wobass et Yalo.
Le speedeur fit soudain irruption dans une large avenue, accablée de soleil. Au centre, un faible cours d’eau circulait, faiblement. Ici et là, hommes et femmes venaient y laver leur vêtement ou remplir d’immenses bidons métalliques. Les bâtiments étaient fait de métal brut, à la couleur délavée. Au premier regard, cette ville semblait prise en otage par la pauvreté. Les rues étaient bondées de gens, tous plus pauvres les uns que les autres. Adamina remarqua, dans un coin, un attroupement de gens formant un cercle. Certains brandissaient des pièces, d’autres des animaux et tous criaient de toutes leurs forces sur deux hommes, ensanglantés au centre de la foule. Plus ils avançaient, plus les bâtiments prenaient de l’ampleur. Les routes de sables instables firent place à la pierre et au métal. Le cours d’eau semblait, lui aussi, avoir pris de la consistance. Se retournant, elle comprit qu’une gigantesque écluse bloquait l’eau, ne laissant passer qu’une infime partie. Au bout d’un moment, elle remarqua que la route était en pente. Ainsi la ville se découpait en plusieurs zones à plusieurs hauteurs. Il ne lui fallut pas plus de temps pour comprendre que les milieux sociaux étaient parfaitement délimités. Plus l’on était riche, plus l’on habitait en hauteur. Ils passèrent une deuxième écluse, puis une troisième et arrivèrent devant une immense porte en métal, si grande qu’un astronef aurait pu y entrer sans problème. Le speedeur s’arrêta Gyg invita Shyto à descendre. En quittant sa place, elle sentit la transpiration de son dos et pria pour incommoder personne de son odeur. Sans un mot, Gyg lui indiqua une poterne dissimulée à la droite de la grande porte puis il remonta à bord du vaisseau qui partit dans un nuage de sable, laissant Adamina, seule.
Sans plus attendre, elle se dirigea vers la poterne. Arrivant à sa hauteur, elle entendit Varas l’informant que tout était en ordre de son côté. Rassurée, elle ouvrit la porte et entra.
Il était assis, derrière un imposant bureau en métal d’un bleu plus profond qu’Adamina n’avait jamais vu. Des reflets jaunes et orangées ondulaient le long de la surface, semblables à des échappes de fumée. Au centre, une petite sphère verte était entourée de fines rayures noires courant le long de la bille créant un mouvement circulaire. Une galaxie, pensa Shyto, émerveillée. Le président Thorst l’avisa d’un regard désintéressé avant de rabaisser la tête, l’oeil plongé sur une console noire. Elle avança, parcourant rapidement la pièce du regard, les murs en étaient arrondis et éclairés d’une pâle lumière orange. Au plafond, un immense enchaînement d’anneaux lumineux éclairait le centre de la pièce d’une forte lumière blanche. Arrivée devant le bureau, elle s’immobilisa en fixant le président d’un air interloqué. « Mr le Président ». Elle prit un air grave.
- Ademina Shyto, répondit Hamir Thorst en relevant la tête. Il garda le silence et se leva. Contournant le bureau, il délaissa du regard le commandant pour aller au contact d’un mur. Il appuya légèrement dessus au niveau de son torse avec sa main et ,dans un silence déconcertant, une brèche apparut. D’abord petite, elle s’élargit en un rien de temps dévoilant une pièce secondaire richement éclairée. Sans dire un mot, le président l’y invita. Bien que déconcertée, Adamina n’avait pas le choix, elle avança. Soyez avec moi Varas, soyez avec moi, pensa t’elle de toutes ses forces.
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J’ai l’habitude d’offrir à mes invités de marque un verre de mon plus vieil alcool, commença t’il. Il ne regardait pas le commandant. C’est un Mescquineau de plus de 200 ans, vieilli dans d’immenses barils de bois, ramenés des contrées lointaines par nos ancêtres. Sa voix sursautait par moments.
Shyto attendait, patiemment, brulant de l’intérieur. « Mais, voyez vous, il ne reste aujourd’hui, que cette bouteille. Aussi, mes invités de marque sont triés sur le volet. Il marqua une pause, très longue. D’un geste, invita Shyto à prendre place dans un large fauteuil tandis qu’il s’asseyait sur un autre, juste en face. Une fois tout deux assis, il reprit. « Etes vous, un invité de marque commandant Shyto ? »
Elle était immobile, presque figée dans son fauteuil, terrassée par la peur. On ne lui avait pas menti, convaincre cet homme serait plus que difficile. « Eh bien, commandant, la réponse ne peut venir que de vous ». Sa voix était cinglante.
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Je crois, commença t’elle, que la réponse vous revient, Mr le président. Elle croisa les mains.
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Moi ? Il fixa Shyto. Je crains que sans réponse de votre part, je devrais m’en remettre à mon expérience avec vos prédécesseurs. Et, croyez moi, ça n’irait pas dans votre intérêt. Il but une toute petite gorgée.
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Je ne suis pas mes prédécesseurs, je suis Adamina Shyto, commandant de la troisième flotte impériale et membre du conseil de guerre de la république. Et c’est en son nom que je me présente à vous. Alors, pensez vous que la république est un invité de marque ?
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Epargnez moi vos noms à rallonge, dit-il accompagné d’un grand geste de la main. Puis il servit un verre, sans rien dire de plus. Adamina le saisit et bu une petite gorgée. L’alcool lui enflamma la gorge, des larmes lui montant aux yeux. « Alors dites moi, qu’avez vous à me dire. »
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Vous savez bien pourquoi je suis là, monsieur le président. Il faut que nous trouvions un accord.
Feignant de comprendre à cet instant, Thorst ricana brièvement avant de plonger son regard dans celui de son invitée.
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L’accord qui nous priverait de notre liberté ? C’est bien de celui là que vous me parlez ? Pourquoi le signerais-je ? Sa voix, pleine de sarcasme, fit courir de frissons à Shyto.
-
Il n’a jamais été question de vous enlever votre liberté, au contraire, elle est au centre de nos préoccupations. Un silence éclata. Après avoir reprit une gorgée, Torst se leva et invita Shyto à la suivre. En silence, elle s’exécuta. Je commence à en avoir plus qu’assez des devinettes, siffla t’elle pour elle même. Ils sortirent du bureau et longèrent un couloir sur 100 mètres. Au bout, le président ouvrit une lourde porte et ils sortirent à l’extérieur. Un large balcon, dehors, une coursive extérieure, les attendaient. Une grande voute de métal surmontait le tout reposant son poids par le biais de fines colonnes rejoignant le sol.
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Que voyez vous, commandant ?
Prise de cours, elle braqua son regard sur l’horizon. A leurs pieds s’étendait Tyrscha, véritable labyrinthe de petites ruelles enchevêtrées les unes avec les autres. Seule la grande avenue des écluses semblait créer un semblant d’ordre. A plusieurs endroits, la lumière se réfléchissait si puissamment sur les toits de tôles qu’elle obligeait Shyto à détourner les yeux.
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Je vois une ville, dénuée d’ordre et de confort. Je vois des habitants réduits à la survie. Je vois…
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Tyrsha, coupa le président. C’est bien Tyrsha que vous voyez. Il se retourna et entama une lente marche le long de la coursive. « Dites moi, commandant, vous sentez vous chez vous ici ? » Le grain de sa voix avait changé, il semblait vouloir entamer une discussion plus saine.
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Non, avoua t’elle.
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Pas de grandes tours à l’horizon, pas de spatio-ports, aucune technologie utilitaire, pas d’ordre… Le président semblait presque parler à lui même. « Quand j’étais jeune, j’ai fait mes classes sur Xenor, au sein du 4ème régiment.
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Vous avez servi la république, s’étonna Adamina ?
La discussion avait réellement pris une autre tournure. Les mystères qui entouraient cet homme avaient attiser la curiosité de la républicaine.
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En effet, un jour, j’ai été assigné aux journées de détection sur Yalo 1. Et j’y ai appris une chose. Il marqua une pause. Marchant toute la journée dans les rues, je regardais les habitants, je les observaient, dans les moindres détails. Et alors la vérité m’est apparue plus claire que jamais.
Adamina brulait d’impatience de savoir où il voulait en venir, tournant la tête à droite, elle aperçut, au loin, un immense dôme brillant qui venait coiffer un imposant édifice aux colonnes épaisses. De loin, elle ne put distinguer d’avantage de détails. « J’ai compris que votre république ne tomberait jamais ». Elle haussa les sourcils et se figea. Pourquoi de telles paroles ? Qu’avait il derrière la tête. « Savez vous pourquoi ? ». Il s’arrêta à son tour et plongea son regard dans le sien. Mais il n’attendait aucune réponse de sa part. « Elle ne tombera jamais parce que votre peuple croit en vous, aussi profondément que possible. Votre régime plante ses racines aux plus profonds des entrailles de vos citoyens. Jamais ils ne se soulèveront contre vous tant qu’ils ont de quoi vivre, peu importe leur niveau de vie. Donnez leur à manger et à boire et ils seront heureux ».
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Je ne comprends pas où vous voulez en venir.
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Nous avons tout notre temps commandant, votre équipage ne partira pas sans vous. Il se passa un coup sur le front pour essuyer les quelques perles de transpiration. Ah cette foutue chaleur, vous n’avez pas chaud ?
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Un peu d’air frais serait appréciable, en effet.
De retour dans le bureau du président, ils reprirent leur conversation.
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L’emprise du Sénat sur son peuple n’a pas d’égal dans la galaxie. Même l’Empire de Vallas ne peut se targuer d’avoir un tel pouvoir. Aussi jamais elle ne tombera. Adamina écarquilla les yeux.
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L’empire de Vallas ? Son expression trahissait son ignorance.
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Ce nom ne vous dit rien ? Il souriait à pleine dents désormais. Jamais vous n’en avez entendu parler ? Elle fit non d’un mouvement de tête. Alors il éclata d’un rire si puissant qu’il fit frémir Adamina. « Vous ? Adamina Shyto, commandant de la troisième flotte impériale et membre du conseil de guerre de la république, vous n’avez jamais entendu parler de Vallas. Il rit à nouveau. Shyto demeurait là, sans comprendre, observant cet homme se moquer de lui, sans pouvoir dire quoique ce soit. « Dans ce cas, Adamina Shyto, vous pouvez rentrer chez vous. Je laisserai le soin à vos supérieurs de vous éclairer sur le sujet. » Il leva la main et l’invita à partir. « Mes hommes vous attendront devant les portes et vous raccompagneront à votre navette ».
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Je ne peux pas faire cela, e suis venu ici pour négocier un traité. Pourquoi partir sans aucune réponse de votre part ?
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Allez vous vraiment négocier un traité sans en connaître les enjeux ? Moi non. Les connaissants, je vous conseille vivement d’en prendre connaissance. Ils sont à même de bouleverser vos pensées.
Alors il se leva et, d’un pas rapide, se rendit à son bureau. Ouvrant un tiroir, il en sortit un bout de papier qu’il griffonna brièvement puis le tendit à Shyto. « Tenez ». Elle saisit la feuille. « Maintenant partez ». Adamina ne savait pas quoi faire, mais elle fut soudain prise d’une très forte envie de partir, très loin. De la couardise, pensa t’elle. Qu’allais penser le Sénat ? Les questions fusèrent dans son esprit mais peu importe, au fond d’elle sa décision était prise. Il fallait qu’elle parte. Alors elle saisit le papier et alla vers la porte. En franchissant le seuil, elle entendit la voix du président.
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Vous ne méritiez pas ce verre, commandant. Si vous deviez revenir ici, espérons qu’il en sera tout autre.
Sans prendre le temps de répondre, elle reprit sa route et disparut derrière la porte. Plus elle marchait, plus les potentielles conséquences de ses actes la hantait. Dépliant le papier, toutes ses peurs furent décuplées. « Parfois, il est préférable de vivre, ignorant ».